L'existence juive
Fait juif et "question juive"
Une convergence
majeure lie la pensée de Lévinas et celle de Blanchot : l'approche
philosophique de l'être juif sous la forme de la "question juive" est
inadéquate.
L'être juif n'est
pas seulement le produit du regard de l'antisémite, il est d'abord un être
historique, doté d'une signification métaphysique.
La critique vise
avant tout les Réflexions sur la question juive de J.P. Sartre.
Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive
Ecrit en octobre
1944, ce texte a été publié pour la première fois en 1946. Sartre y aborde la
"situation" de l'existence juive de manière négative, comme
construction par le regard de l'antisémite : « Loin que l'expérience engendre
la notion de Juif, c'est celle-ci qui éclaire l'expérience au contraire ; si le
Juif n'existait pas, l'antisémite l'inventerait. » (p. 14)
L'antisémitisme
Sartre analyse
l'antisémitisme comme passion de haine et peur de soi. Cette peur est celle de
la condition de l'homme et refus de sa propre liberté : « Il devient évident
pour nous qu'aucun facteur externe ne peut introduire dans l'antisémite son
antisémitisme. L'antisémitisme est un choix libre et total de soi-même, une
attitude globale que l'on adopte non seulement vis-à-vis des Juifs, mais
vis-à-vis des hommes en général, de l'histoire et de la société; c'est à la
fois une passion et une conception du monde.» (pp. 18-19) « C'est un homme qui
a peur. Non des Juifs, certes : de lui-même, de sa conscience, de sa liberté,
de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la
société et du monde ; de tout sauf des Juifs. (…) L'antisémitisme, en un mot,
c'est la peur devant la condition humaine. L'antisémite est l'homme qui veut
être roc impitoyable, torrent furieux, foudre dévastatrice : tout sauf un
homme. » (pp. 62-64)
Y a-t-il une collectivité historique juive?
« Une communauté
historique concrète est d'abord nationale et religieuse; or, la communauté
juive qui fut l'une et l'autre s'est vidée peu à peu de ces caractères
concrets. Nous la nommerions volontiers une communauté historique abstraite. Sa
dispersion implique la désagrégation des traditions communes; et nous avons
marqué plus haut que ses vingt siècles de dispersion et d'impuissance politique
lui interdisent d'avoir un passé historique. S'il est vrai, comme le dit Hegel,
qu'une collectivité est historique dans la mesure où elle a la mémoire de son
histoire, la collectivité juive est la moins historique de toutes les sociétés
car elle ne peut garder mémoire que d'un long martyre, c'est-à-dire d'une
longue passivité. » (pp. 80-81)
Situation
« Pour nous l'homme se définit avant tout
comme un être "en situation". Cela signifie qu'il forme un tout
synthétique avec sa situation biologique, économique, culturelle, etc. On ne
peut le distinguer d'elle car elle le forme et décide de ses possibilités,
mais, inversement, c'est lui qui lui donne son sens en se choisissant dans et
par elle. Etre en situation, selon nous, cela signifie se choisir en situation
et les hommes diffèrent entre eux comme leurs situations font entre elles et
aussi selon le choix qu'ils font de leur propre personne. Ce qu'il y a de
commun entre eux tous ce n'est pas une nature, mais une condition, c'est-à-dire
un ensemble de limites et de contraintes. (...) Et cette condition n'est au
fond que la situation humaine fondamentale ou, si l'on préfère, l'ensemble des
caractères abstraits communs à toutes les situations. » (p. 72)
L'être juif comme produit du regard de l'autre
« Qu'est-ce donc
qui conserve à la communauté juive un semblant d'unité ? Pour répondre à cette
question, il faut revenir à l'idée de situation. Ce n'est ni leur passé, ni
leur religion, ni leur sol qui unissent les fils d'Israël. Mais ils ont un lien
commun, s'ils méritent tous le nom de Juif, c'est qu'ils ont une situation
commune de Juif, c'est-à-dire qu'ils vivent dans une communauté qui les tient
pour Juifs. En un mot, le Juif est parfaitement assimilable par les nations
modernes, mais il se définit comme celui que les nations ne veulent pas
assimiler. (...) Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif.
» (p. 81)
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