Le Diable et le
Bon Dieu (1951)
Pièce
en trois actes et dix tableaux. Création à Paris, théâtre Antoine, le 7 juin
1951. Mise en scène Louis Jouvet, décors Félix Labisse, réalisés par Émile et
Jean Bertin, costumes Francine Galliard-Risler, réalisés par la maison
Schiaparelli. Avec Pierre Brasseur (Goetz), Jean Vilar (Heinrich),
Marie-Olivier (Catherine), Maria Casarès (Hilda), Henri Nassiet (Nasty), R.-J.
Chauffard (Karl), Maurice Dorléac (le banquier), Jean Toulout (Tetzel) et Anne-Marie
Cazalis, Maria Meriko.
Sartre,
comme Simone de Beauvoir l'indique dans ses Mémoires, réunit une très abondante
documentation historique sur l'Allemagne pour l'écriture de sa pièce. Mais
l'idée première avait été inspirée à Sartre par le Rufian dichoso de Cervantès,
que Jean-Louis Barrault lui avait raconté en 1943 alors que tous deux donnaient
des cours à l'école de Charles Dullin. Commencée dès le début de l'année 1951,
la pièce est achevée durant les répétitions ; celles-ci s'avèrent difficiles à
cause de la tension avec Jouvet, qui opère des coupures dans un texte de quatre
heures, des écarts de Pierre Brasseur et des inquiétudes de Simone Berriau.
Grand
succès public, cette "machine de guerre contre Dieu" fait scandale
notamment dans les milieux catholiques. On mesure la difficulté de la presse à
comprendre Sartre au moins lors des premières présentations : "Blasphème
dérisoire" pour Daniel-Rops, "Y a pas de bon Dieu" pour Thierry
Maulnier, "défection au rendez-vous de l'histoire" pour Elsa Triolet,
ou "athée providentiel" pour Mauriac. Le jeu appuyé et cabotin de
Pierre Brasseur, en particulier dans la seconde partie, où Goetz se convertit
au bien, a peut-être entretenu le contresens sur la pièce. Mais précisément
Pierre Brasseur et plus tard, dans une interprétation à l'opposé de la sienne,
François Périer sont les vecteurs de la dénonciation de l'effet théâtral
(héroïsme, passion de l'absolu, postures). Ils stigmatisent le mythe du
comédien "cabotin refoulé".
La pièce se situe
dans la continuité de l'œuvre de Sartre et illustre des propos tenus dans son
Saint Genet : "La loi de toute rhétorique, c'est qu'il faut mentir pour
être vrai." Le théâtre de Jean Genet est là, contenu dans une phrase, mais
c'est également l'un des messages du théâtre de Sartre.
L'intériorité du
jeu de François Périer, dans la reprise au TNP en 1968, sa simplicité madrée et
la sobriété de la mise en scène de Wilson font ressortir les qualités de
l'œuvre, centrée davantage sur le thème de la morale que sur le sujet
métaphysique de l'existence de Dieu. Michel Contat considère que la pièce a de
nombreux points communs avec Saint Genet et en constitue le meilleur
commentaire philosophique. Sartre livre aussi un dilemme d'ordre personnel :
"J'ai voulu traiter du problème de l'homme sans Dieu [.] parce qu'il est
difficile de concevoir l'homme de notre temps entre l'URSS et les États-Unis et
dans ce qui devrait être le socialisme." En montant la pièce en 2000,
Daniel Mesguich faisait remarquer : "L'an 2000 n'est pas le temps de
Sartre, et voilà pourquoi nous pouvons mieux le lire. Toute intentionnalité,
réelle ou présumée, de l'auteur a fondu à l'épreuve du temps, et ce qu'il reste,
c'est l'écriture précise et flamboyante[.]. Je voudrais monter Le Diable et le
Bon Dieu comme s'il avait été écrit par Cervantès ou un Shakespeare français
dans les années cinquante en France."
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