miércoles, 4 de noviembre de 2015

Poursuivant sur le terrain emprunté par Martyn Lyons, la sociologie de la lecture, on ne peut manquer d’évoquer enfin les travaux d’un autre Britannique, Donald F. McKenzie, dont les études relatives à la bibliographie matérielle ont obligé à revoir complètement les théories sur le caractère autosuffisant des textes qui firent florès à l’époque où Roland Barthes enseignait au Collège de France. A partir des œuvres théâtrales qu’on nomme « élisabéthaines » outre-Manche, McKenzie a en effet montré — et démontré — que le changement de présentation de ces œuvres dans les éditions du XVIIIe siècle en modifie radicalement la réception et les « popularise » en quelque sorte. Partant de cet exemple et étendant sa réflexion à l’ensemble des textes imprimés, Roger Chartier, Henri-Jean Martin et nous-même dans Michel et Calmann Lévy ou la naissance de l’édition moderne puis dans L’Argent et les Lettres, n’avons cessé de plaider pour une réinscription permanente de la poésie, du roman, du drame ou de la comédie, de l’essai et des genres moins nobles, le pamphlet, la satire, etc., dans un régime d’historicité qui leur donne sens et permette de comprendre pourquoi, éventuellement, le succès immédiat d’un écrivain du type d’Alexandre Dumas allait pratiquement lui interdire la canonisation par l’école secondaire — car le primaire a été plus généreux — et la reconnaissance ultérieure par l’université, les programmes de l’agrégation des lettres jouant dans ce domaine le rôle de la Légion d’honneur ou du Who’s Who pour l’affichage ostentatoire des récompenses symboliques.

Sans prétendre rendre ici hommage à tous ceux qui ont plaidé pour appliquer à la littérature les méthodes des sciences humaines, et l’on songe particulièrement au Roman du quotidien d’Anne-Marie Thiesse ou à Mesure(s) du livre d’Alain Vaillant  ainsi qu’aux travaux pionniers de René Guise et de Roger Bellet sur la presse, on proposera d’utiliser tous ces coups de sonde dans l’univers du littéraire pour inciter à écrire des histoires de ces phénomènes qui rendent compte aussi bien de leur production que de leur diffusion et de leur réception. Pour résumer en quelques grandes interrogations ce programme, on pourrait se fixer pour but d’essayer de répondre aux questions suivantes : que lit-on dans la période de référence, par exemple le XIXe siècle, c’est-à-dire la séquence de temps ouverte par la Révolution Française et refermée par la Première Guerre mondiale, soit les années 1789-1914 ou 1918 ? Où prend-on connaissance des textes lus ? À l’école, dans la rue, dans les cabinets de lecture, les bibliothèques, les librairies, les grands magasins ? Ou plutôt dans la presse, les quotidiens, les magazines, les revues ? Comment s’ap-proprie-t-on les œuvres diffusées ? Seul, en groupe, en famille, au cabaret, au théâtre, au caf’conç’, au music-hall, sur les boulevards, dans l’intimité de son foyer ? Pourquoi lit-on davantage tel type de littérature ou tel genre et non tel autre, la poésie, le mélodrame, le roman, l’essai, le pamphlet, etc. ? Quelle place occupent ces distractions, ces passe-temps ou ces occupations dans la vie quotidienne ? Sont-ils source de distinction ou, au contraire, de stigmatisation ? En y ajoutant le nécessaire examen des conditions juridiques qui entourent la publication des imprimés, du plus vulgaire au plus noble, on peut espérer dégager des problématiques qui sortent l’histoire littéraire de son cours habituel.

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